@Merlu Ce que tu évoques s’appelle l'hypothèse tiers mondiste. Ou s'appelait. Depuis quelques années c’est plutôt d’idée de “grande divergence” de l’historien Kenneth Pomeranz qui l’anime, (enfin son résumé dans les média grand public parce qu’en vrai c’est quand même plus nuancé).
Je (comme beaucoup d'historiens, de spécialistes de l’histoire des sciences, technique de production et d’économie, comme souvent lorsqu’on est sur des phénomènes non reproductibles) ne la trouve pas très convaincante (surtout pour sa version simplifiée).
Le seul pays qui a une pratique qui colle relativement avec, est la grande Bretagne du milieu au 18ème siècle au début du 20ème siècle (puis un peu les Pays Bas) (Mais cela s’explique pas mal parce que Pomeranz la tire de sa comparaison en l’Angleterre et le delta du Yangtsi sur cette période).
Ca ne marche pas bien avec des pays qui n’ont pas de ressources exotiques mais qui s’enrichissent via le capitalisme industriel (au 19ème siècle : Belgique (Wallonie), Suède, Empire Austro-Hongrois, Prusse, Japon Meiji, au 20ème siècle : Corée du Sud, Taiwan), et au contraire ceux blindés de ressources qui sont incapables de s’enrichir (Inde Moghol, Chine Qin, ou Brésil du 19ème siècle) ou de ceux qui s’accaparent des territoires coloniaux immenses sans augmenter le niveau de vie de leur population globale (Espagne du grand siècle, et Russie, Oman et Portugal dans une moindre mesure).
Je trouve plus intéressant le modèle qui avance que la prospérité de la population, à part quelque micro-état paradis fiscaux ou pétro monarchies (et une poignée d’exceptions comme les phosphate de Nauru durant la seconde moitié du 20ème siècle), repose sur la combinaison : capitalisme - démocratie - liberté d’expression et syndicale - intégration dans le circuit de l’économie globale - capacité de collecte fiscale. Si on dégrade un de ces critères, le niveau de vie de la population a tendance à diminuer, sachant qu’il ne s’agit pas d’un système oui/non mais plus une gradation.
Elle colle beaucoup mieux à l’ensemble des phénomènes historiques, y compris dans un contexte colonial comme la sujétion de Mysore ou des guerres de l’opium en Chine. Mais on a toujours pas d’autre monde pour “rejouer” le scénario et ça reste un modèle.
@Aesma Oui c’est compliqué de comparer 10 000 ans d’agriculture (dans des conditions très différentes ne serait-ce qu'en fonction du climat) à une période de “premières usines” qui dure moins d’un siècle.
Pour certains domaines “les première usines” c’est 20 ans et pour d’autre plus de 100 ans.(Dans un contexte historique européen, car si on fait entrer les usines textiles actuelles du Bengladesh dans la balance, “les premières usines” existent encore)
Pour certains métiers la mécanisation définitive c’était il y a moins de 50 ans. L’exemple le plus flagrant qui me vient à l'esprit est la pose de voie férée. Ou, le GPS qui a profondément transformé le métier de géomètre ces 25 dernières années.
Pour certains, elle n’a pas encore commencé.
Moi, comme ma spécialité, c’est les technologies de production, je compare surtout les “première usines” aux “derniers ateliers”.
Si je devais choisir entre brûler des algues, travailler dans un atelier au procédé Leblanc ou une usine au procédé Solvay, je choisirais l’usine procédé Solvay. Entre les forges de Buffon et l'aciérie de Schneider, les deux étaient un enfer et je préfère ramasser et brûler des algues. Entre ramasser des algues et la première fonderie de processeurs, je cours chez Intel.
Pour moi la baisse de la durée du travail c’est l’avancée technologique ET la luttes syndicales ET la démocratie. Les trois sont indispensables. Je ne les oppose pas, elles se complètent.
Pour mon avis purement personnel, si j’étais dictateur mondial, je pense qu’on devrait partager son temps entre 2 “activités” : l’une serait un métier de service pour la société : “prof, infirmière, pompier,...” (ce qui permettra en cas de crise de doubler les effectifs si besoin) l’autre serait choisi librement et on pourrait être peintre, musicien, aidant.... Outre le sujet épineux de l'organisation ca demanderait un investissement conséquent en terme de formation (qui est une forme de capital même si non financier).
J’ai l’impression à ton dernier message que tu te bases surtout sur le Royaume Uni de l’époque victorienne pour construire ta vision de ce qu'est l'industrialisation, je comprends donc pourquoi tu as cette vision.
Le Royaume-uni est un des pays avec la plus forte augmentation de population au 19ème siècle la population passe de 7,5 millions de personnes en 1750 à 41 millions en 1900 soit +346% alors que par exemple la France passe de 25 millions à 41 millions soit +60%). La surface agricole britannique à destination des paysans diminue par l’enclosure alors qu’en France on est plus dans le phénomène inverse avec la répartition des terres du clergé qui améliore un peu le sort des paysans. Et la France n’est aussi qu’un des cas particuliers de la transformation du monde au 19ème siècle.