Vos échanges sont hyper intéressants et me font beaucoup réfléchir.
Moi aussi, j'ai l'impression de ne pas être légitime, car "pas assez", alors que c'est moi qui ai cherché ce diag. Je me reconnaissais dans énormément de témoignage, mais depuis le diag, quasiment plus.
Il y a cette question des intérêts spécifiques que je pense ne pas avoir, même ne jamais avoir eu.
Quand j'essaie de me remémorer mon enfance et adolescence pourtant, il y a des choses qui me reviennent. Enfant, j'adorais la lecture à un point que j'avais lu tous les romans et BD de la bibliothèque de mon village (ma mère a dû me conduire à la bibliothèque de la grande ville pour que je puisse continuer à lire). J'écrivais des histoires, je pensais aux histoires que j'avais lues en permanence. Elles vivaient en moi.
Petit aparté : si vous aviez une facilité avec la lecture, que vous aviez appris à lire seul.e très tôt, que vous engloutissiez tout ce que vous voyiez, c'est de l'hyperlexie et c'est un signe de TSA.
Le truc c'est que mes parents n'avaient pas d'argent (et pas de capital culturel non plus, ou alors très limité). J'aimais des trucs, je m'intéressais à des choses (comme l’Égypte ancienne). Mais j'avais personne derrière pour nourrir ça, le développer. Donc ça en restait là. Je me suis toujours dit qu'enfant, j'avais été sous-stimulée et que ça avait un retentissement énorme sur ma confiance en moi et ma capacité à développer des passions ou entamer des loisirs une fois adulte. J'ai pris l'habitude de penser que quoique j'aimerais, je n'aurais pas les moyens de toute façon d'explorer, donc à quoi bon ? Et ça s'est renforcé avec la dépression.
Pour donner un exemple du fonctionnement de mes parents : mon neveu dessine extrêmement bien depuis qu'il sait tenir un crayon. Mes parents sont toujours fiers de lui, et disent "ah plus tard tu vas faire les Beaux-Arts" (sous-entendu, tu as tellement de talent en dessin que tu seras remarqué). Sauf que ce talent, ça se travaille aussi. Les Beaux-Arts, il va pas s'y inscrire tout seul. Il ne va pas faire des chefs d'œuvres à 20 ans comme ça, il faut l’inscrire à des cours de dessin (ce que ses parents font, heureusement pour lui). Voilà, mes parents ont toujours pensé que comme j'avais des facilités, je devais tout réussir par moi-même, sans aide. Je voulais faire des activités, mais mes parents ne cherchaient pas de clubs, rien.
C'est quelque chose qui me fait toujours mal une fois adulte, de savoir que ces besoins de stimulation n'avaient jamais été comblés, et que j'en garde des séquelles. Maintenant que je sais que je suis autiste, et que j'ai appris l'importance des intérêts spécifiques pour notre fonctionnement, je comprends encore mieux pourquoi ça me donne une impression de "carence", comme une carence nutritionnelle a un impact sur la physiologie une fois adulte.
Alors, j'ai eu d'autres passions plus accessibles. En primaire, il y a eu les boys bands, au collège, les chanteuses etc. Un intérêt bien banal, comme toutes les filles de mon âge. Mais même là, je sentais que j'étais bien plus
à fond que mes copines. C'était vraiment un truc qui habitait chaque recoin de mon corps et de mon esprit, j'y pensais en permanence. Mais dans la définition d'un intérêt spécifique, il y a cette notion d'en parler à tout le monde et de ne pas voir que ça ennuie les gens, d'oublier de manger et dormir tellement on est pris dedans, et ça, je ne l'ai jamais eu. Déjà parce que je parle peu aux gens, encore moins de moi-même (je déteste être "perçue"), donc jamais de la vie je ne parle de quelque chose que j'aime. Et parce que jamais de la vie je n'oublie de manger ou dormir lol.
Je pense ne pas avoir d'intérêt spécifique, et pourtant je remarque qu'il y a des choses que j'aime vraiment, sans en avoir une connaissance encyclopédique. J'ai un vrai intérêt pour l'organisation de la maison, le minimalisme, l'optimisation des tâches domestiques, et ce depuis des années (depuis que je vis chez moi en fait). Et oui, comme tu le dis
@Lagertha, ça a certainement un rapport avec mon fonctionnement. Et cette notion d'émerveillement, de joie "naïve", c'est vraiment ce que je ressens quand je vois des animaux, en particulier des chats. J'ai l'impression de redevenir petite fille de 4 ans (et je sais que je dois faire attention car c'est très mal vu de se comporter ainsi en public). Mais j'apprends à démasquer dans ces situations parce que ça me fait vraiment du bien d'assumer cette joie.
Je remarque aussi que j'aime faire des choses, pas pour la chose en elle-même mais pour la sensation que ça m'apporte. Je fais de l'aquarelle, je ne sais pas dessiner et je ne fais pas de progrès. Ce que j'aime dans l'aquarelle, c'est les couleurs qui se mélangent dans l'eau, visuellement c'est tellement satisfaisant que je peux passer des heures à mélanger des couleurs et les étaler sur le papier. Dès que j'essaie de réaliser quelque chose de "valide", ça me stresse et m'enlève tout plaisir. Donc aujourd'hui j'essaie d'assumer ça, et de me détacher de l'injonction à la rentabilité des loisirs. J'ai commencé à m'intéresser à la théorie des couleurs, pour connaître le fonctionnement des pigments et des mélanges, j'adore ça.
Par contre, j'ai du mal à me reconnaître dans les meltdows/shutdowns. Peut-être que mes crises d'angoisses et mon mal-être, c'est ça ? Je ne sais pas...